L'histoire de la basilique

Quand l'art déco se fait art sacré...

Quand l'art déco se fait art sacré...

par Gilles-Marie Moreau, auteur d'ouvrages sur l'histoire en Isère

La construction de l’église du Sacré-Cœur, de 1922 à 1943, correspond pour l’essentiel à l’apogée du style Art déco. À la suite du traumatisme de la Grande Guerre, le monde plonge dans les « années folles ». Sur des airs de jazz ou de charleston, l’insouciance est de mise : Maurice Chevalier et Joséphine Baker triomphent à Paris, les surréalistes font exploser leurs idées excentriques et, dans l’Orient-Express, Paul Morand croise Hercule Poirot. Mais vient aussi le tournant des années 30 : tandis que le cinéma passe du muet au parlant, la crise économique de 1929 et la montée des fascismes annoncent des jours plus sombres auxquels on préfère ne pas penser.

Dans ce contexte, l’art déco s’affirme, après l’exubérance de l’art nouveau du début de siècle, comme le retour à la simplicité sublimée par la technique : décors géométriques, revêtements modernes (alliages métalliques, plastiques colorés), formes classiques stylisées. L’usage du béton ou du ciment armé permet de s’affranchir des arcs-boutants et des contreforts, offrant de larges espaces intérieurs scandés par des arcs à longue portée : les édifices deviennent ainsi de véritables monolithes artificiels. Le même béton, en recouvrement, offre des surfaces plus lisses et nues que la brique, qui rappellent les massifs blocs de pierre utilisés jadis dans les civilisations antiques.
On trouve à Grenoble quelques exemples marquants de l’art déco : la célèbre tour Perret, souvenir de l’Exposition internationale de la houille blanche (1925), mais aussi le garage hélicoïdal de la rue Bressieux. Sous son épiscopat, Mgr Caillot édifiera deux sanctuaires majeurs dans ce style : les églises du Sacré-Cœur et de Saint-Joseph.

Avec ses 65 m de longueur, ses 35 m de largeur et ses 24 m de hauteur, l’église du Sacré-Cœur offre une surface de 2 275 m2. Sur un plan de basilique romaine (le fameux plan basilical), le vaisseau central à 9 travées suit un plan rectangulaire, couronné par une charpente métallique, et prolongé par une abside semi-circulaire et un chœur surélevé visible en tout point de l’édifice, lui-même desservi par un large escalier de six marches à une seule volée.

Dans cet édifice majestueux, érigé en basilique par le pape en 1952, les constructeurs vont introduire des éléments décoratifs en phase avec le style résolument moderne voulu par les premiers bâtisseurs.

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Sculpture

L’autel majeur se compose d’une grande dalle monolithe en pierre polie, d’une extrême simplicité. Il ne comporte aucune sculpture, ni décoration quelconque, laissant ainsi toute leur valeur à la belle matière de la pierre nue et à ses proportions d’une sobre grandeur. Situé au centre du chœur, il permet la célébration face au peuple, qui sera pratiquée ici bien avant la réforme liturgique de Vatican II (1969).

Quelques mètres plus bas, l’autel de la crypte est le seul élément ancien : lui aussi un imposant monolithe, il provient possiblement de l’église du prieuré de Saint-Martin de Miséré, fondé par saint Hugues aux environs de l’an 1100.
En 1943, Mgr Caillot commande à un sculpteur encore peu connu, Emile Gilioli (1911-1977), un Christ en croix. L’œuvre de près de 6 m de hauteur taillée dans une pierre blanche et qui frappe par son expression de dénuement est placée dans le chœur l’année suivante. Après la guerre, Gilioli réalisera plusieurs monuments commémoratifs dans le Vercors, mais son œuvre majeure sera le monument national de la Résistance du plateau des Glières (Haute-Savoie).

Vitraux 

Un projet initial prévoyait d’installer sur le tympan une fresque représentant le Christ en gloire. Mais en 1969, on met en place des vitraux non figuratifs de Jacques Le Chevallier (1896-1987), maître-verrier célèbre bien au-delà des frontières, auteur en 1965 de vingt-quatre vitraux pour Notre-Dame de Paris, et qui a également travaillé dans les cathédrales de Trèves, Angers, Toulouse et Besançon.